Celui qui voulait être Superman...

Publié le par Maxime Pinot

Notre rapport à la rationalité est complexe, dépend de ce que nous sommes, au fond, de nos expériences et de nos de goûts... il peut tenir à un fil, ou être si profondément implanté en nous qu'il empêche tout processus de création. Car la vision purement objective d'une situation ne permet pas toujours d'apporter la solution adéquate. La pure objectivité néglige l'humain et notre côté d'être sensible. C'est pourquoi nous habillons souvent notre parole pour la rendre plus douce quand nous voulons faire passer un message de prime abord négatif pour le récepteur. Ou qu'au contraire nous la rendons plus sèche pour frapper la ou ça fait mal...

C'est ce que nous appelons le rapport à l'autre... et en compétition ce rapport à l'autre est forcément premier et exacerbé, il est au centre de tout. En plus du rapport à soi même... nous voilà donc a fantasmer ce que nous sommes, fantasmer ce que les autres pensent de nous. Nous nous retrouvons avec différentes relations qui échangent entre elles: ce que je suis, ce que j'aimerais être (ou ne pas être); ce que les autres pensent que je suis, ce qu'ils aimeraient que je sois; ce que je pense que les autres pensent de moi, ce que je pense de ce qu'ils aimeraient que je sois...

J'ai longtemps pensé que "l'on volait comme on était (intrinsequement)", mais ce n'est pas le cas. La projection de notre "moi" est le résultat de cette équation. Comme l'enfant qui veut être le super héros qu'il admire, et qui prend conscience que ses capacités ne le permettent pas, et que la société ne le lui permet pas non plus en lui renvoyant une image plus académique de son avenir...

Voilà à peu près l'état d'avancement de ma réflexion lorsque je m'endors, me laissant glisser dans une nuit cauchemardesque après une performance elle même cauchemardesque en milieu de compétition...

Je n'ai jamais bien cru au fameux "je pense donc je suis". Tête en l'air de nature, rêveur, effrayé par les chiffres et les raisonnements carrés, j'ai toujours été plus proche d'un "je sens donc je suis". Mais c'est en aucun cas une aide dans la rationalisation de réussites, et surtout d'échecs. Je peux prendre de plein fouet le résultat de l'équation évoquée plus haut, les interrelations entre moi et moi, et moi et les autres.

Avant mon titre, je me focalisais sur la relation à moi même. La question était bien: qui suis je ? Ou est ce que je vais ? Et qu'est ce qui me rend performant dans ce que je fais ? J'en ai maintenant une idee plus exacte, en tout cas je me connais un petit peu mieux.

Mais il apparaît des choses contradictoires après une certaine sorte d'achèvement, d'autres questions... maintenant que j'ai trouvé ma voie, un équilibre, comme ce petit garçon qui a compris qu'il ne pouvait pas être Superman et qui pourtant court vers un destin tout aussi joyeux... comment faire pour que ce statut perdure et que la société ait la vision exacte de ce que je suis ?

Je crois que la réponse n'est pas enfouie bien loin quand on y réfléchit. Il faut retrouver ce fin équilibre de funambule, mélange de réflexions conscientes et de sensations beaucoup moins rationnelles.

Je me suis petit à petit, cette saison, enfermé dans des schémas pré conçus et stéréotypés, manquants cruellement de demies mesures, directement dérivés d'une vison faussée de mon nouveau statut (après la Superfinale d'octobre). Alors qu'une vison correcte et objective aurait dû m'enlever toute envie de prouver quoi que ce soit, je me suis retrouvé avec cette certitude au fond que je devais mener les groupes, faire le boulot, attaquer (en plus du côté forcément plaisant et grisant de la chose...)...

Mais cette façon de voler n'est pas celle qui me rend le plus performant. Elle doit être mesurée, et elle doit prendre en compte tous les facteurs et toute les complexités de notre sport. Elle doit être maîtrisée. J'ai oublié pendant quelques temps cette notion de rigueur (tactique et stratégique) dans la performance, focalisé sur l'image que je voulais, semi consciemment, donner.

Après cette manche catastrophique, je suis rentré dans une colère noire contre moi-même, mais pas que... J'ai fulminé contre ces pilotes qui jamais ne viennent aider devant quand nous chassons le groupe de tête échappé devant. Mais pourquoi le ferait-il ? Un Clément, un Yoann, un Yassen, ou ma pomme (et j'en passe plusieurs autres), sont probablement dans le coin à flairer la ligne (ou à tomber dans la mauvaise), à trouver la bonne Vz (ou à passer à côté). Le groupe, cette pieuvre aux longues tentacules, capable de ratisser large, à mille fois raison de les regarder faire.

Ma colère est passée, comprenant bien sûr que c'était moi qui était dans le faux, totalement. Il m'aura fallu un dernier point bas au début de la dernière manche pour que la leçon s'imprime dans ma petite tête ! Pour que la suite du vol devienne une longue partie de contrôle, jouant sur mes capacités mais sans me reposer uniquement sur elles. Retrouvant enfin le confort et le temps décuplé des sommets de groupe. Un luxe sans nom, dont j'avais fini par oublier les bienfaits, à toujours faire la course à mille à l'heure devant...

Le cross country devient une bataille totalement mentale à ce niveau d'exigence, quand chaque pilote est capable d'utiliser une telle palette technique. Tout se joue souvent en quelques secondes, car ce sont les prises de décisions qui conditionnnent tout le reste. Et ces prises de décisions ne sont que le résultat de ce qui nous anime à un instant T, au fond de nous. De toutes ces émotions et sensations, mais aussi réflexions et analyses, qui s'entrechoquent, se projetent, pour s'assembler ou se rejeter. C'est cette alchimie qui donne notre température du moment, notre paix intérieure ou un malaise à peine perceptible.

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A
Belle prose. Vivement le prochain billet.
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