Memento

Publié le par Maxime Pinot

Il y a un peu plus d'une année, à l'automne d'une Superfinale remportée ( http://maxmix-pinot.over-blog.com/2014/10/reve-de-dingue-reve-de-gosse-champion-du-monde-pwca.html ), les effets euphoriques de la victoire envolés, j'entrais dans une période de doutes qui ne me lâcha pas, pendant une longue période. Il y avait un vide, en moi, qui venait de s'ouvrir. J'avais toujours regardé avec un sourire en coin ces sportifs, quelque soit leur discipline, qui disaient accuser le coup d'une victoire. Mais j'étais en plein dedans. Une tourmente d'idées, de pensées, difficilement exprimable en public tant la raison semble absurde. Je me rappelle d'ailleurs un repas, avec des amis, pendant lequel j'avais commencé une phrase ainsi:

“- oui, c'est énorme mais bon… c'est…”

Et sans pouvoir finir, l'un d'eux m'arrêta, net:

“- oui mais bon quoi ?! C'est énorme c'est tout !”

Oui mais voilà, tout n'est pas si simple. Surtout quand c'est l'objectif, peut être pas d'une vie, mais… mais peut être que si. Ou plutôt, l'objectif d'une vie en construction, une vie qui a besoin de renouveler sa vision à chaque défaite… et à chaque victoire. C'est ce que je découvrais, après l'ivresse et l'insouciance d'un si beau moment. Comme un enfant qui découvre avec stupeur la rigidité du monde.

Parce que, au fond de nous, nous pensons sincèrement qu’accomplir ses rêves est un aboutissement, qui ne peut mener qu'au bonheur. Nous aimerions de tout notre coeur que ça le soit. Et ça l'est. Mais ce bonheur, bien que puissant et profondément apaisant, ne l'est pas pour le reste de la vie. Il est intense, mais bref. Il n'est pas rédempteur.

J'ai été très en colère contre ça. Une colère profonde contre cette fausse idée de l’intemporalité du bonheur. J'ai très naïvement cru que ces sensations allaient s'inscrire dans ma chaire, que je pourrais les retrouver à n'importe quel instant, à n'importe quel moment de ma vie. Mais il y a cette grande injustice chez l'humain: cette capacité à se souvenir tout en ne pouvant plus ressentir avec la même force la fugacité de l'instant.

Puis je n'en voulu plus seulement qu'à cette brièveté du bonheur. Ma colère se tourna contre mon sport, lui même. J'eus envie de lui crier cette injustice, celle de tous ces moments consacrés à lui et lui seul (même si le parapente est un sport de haut niveau facile), et ce si petit moment de joie en retour. Ne se dressait devant moi que la vacuité de la compétition, son aspect vain, son inutilité. “A quoi bon ?”

C'était cette question qui me revenait, comme une ritournelle, lancinante, persuasive. Oui ? A quoi bon ?

A quoi bon faire la course quand on peut voler librement ? A quoi bon aller user de son temps à s'entraîner ? Pour gagner quoi ? Un vulgaire trophée sans âme.

Est ce que j'allais finalement aboutir à ce qu'avait toujours soutenu mon ami de fac, Guillaume ? : est ce vraiment vain d'aller se comparer aux autres ? Un simple trip d'égoïste en manque de reconnaissance ?

Et puis, j'ai dépassé cette colère. On ne remet pas en cause dix années de sa vie en un mois. Dix années ou plus. Je me suis rappelé de tous ces petites anecdotes qui m'ont façonné, construit. Je me suis revu, assis devant la finale de David Douillet en judo, pendant les jeux olympiques de 2000, avec ma soeur, sidérés. Pour nous mettre ensuite au judo ensemble, elle avec infiniment plus de talent que moi. Je me suis revu échangeant des balles avec le mur de la maison abandonnée d'en face , raquette à la main, cherchant à améliorer mon coup droit. Et je me suis revus, 13 ans, avec cette vieille voile jaune fluo, rectangulaire, une quinzaine de caissons maximum, à courir dans des champs d'une platitude désespérante, avec l'espoir de quelques secondes de sustentation, des heures durant… et si le vent n'était pas pas la, j'allais voir les oiseaux tournoyer de concert au dessus des champs de blés.

Je vois aujourd'hui mon autre petite soeur trouver sa voie. Et j'entends mes parents, depuis toujours, nous dire qu'il faut aller au bout des choses que nous aimons. Peu importe ce qu'il arrive, il ne faut pas abandonner ses rêves à travers les difficultés.

C'est tout cela qui m'a construit.

Aujourd'hui, je suis en paix, empli d'objectifs nombreux et d'envies fortes.

Une saison s'est écoulée depuis, une magnifique saison, durant laquelle je pense avoir très nettement amélioré mon niveau de vol par rapport à la dernière Superfinale, et la compréhension de la compétition à ce niveau élevé de compétences. J'attends de remettre mon titre en jeu avec impatience...

J’ai compris que le résultat n'était qu'un moyen… et qu'une conséquence. Il n'est que le moyen de se donner les moyens. Et il n'est que la conséquence des moyens que l'on aura mis en oeuvre pour réussir.

La compétition, elle, n'est qu’égoïsme si elle n'est abordée que dans son degré le plus primaire. Elle n'est que combat absurde si l'unique but est d'atteindre le sommet de la montagne avant les autres. Elle prend tout son sens lorsque l'on comprend que l'authentique joie se trouve dans la façon de la gravir.

L'existence n'est qu'une longue suite d'expériences…

Toutes voiles dehors, avec ou contre le vent, sens dessus dessous, nous voilà voguant vers le monde des rêves.

“Cueille tes voeux à mains pleines

Dans l'or flambant du soleil”

Goethe, Faust

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Le Temps ! Le bonheur ! Voler, rêver, autant de choses qui font une Vie et qui font vivre ! :) Les petits bonheurs ou les grands ne durent jamais, ils sont là pour nous accompagner quand nous faisons le gros dos en attendant que l'orage passe... et heureusement qu'il y a aussi par moment des orages, rares sont ceux d'entre nous qui arrivons à être "bousculés" sans orage ! :) Sois heureux l'Oiseau et merci d'avoir partagé, ça fait du bien ! Chaleureusement :)
Répondre
P
Je viens de lire ton désarroi après l'objectif atteint et à côté de moi une de mes filles, celle de neuf ans, lit tranquillement. Bien sur le bonheur est dans les choses simples. Et fonder une famille, c'est simple mais cela donne un réel sens aux choses.<br /> J'admire ta maturité et apprécie bcp tes écrits.<br /> Bravo pour tout cela et à la prochaine grande victoire essaie de profiter simplement de la chose.<br /> A+
Répondre